[Confédération][2] Rêves Mécaniques
Par : Gregor
Genre : Science-Fiction , Action
Status : Terminée
Note :
Chapitre 12
Publié le 01/12/12 à 11:52:08 par Gregor
2.
Je quittais les appartements du Commandus Magnus une heure plus tard. Le rapport avait été banal. A contrario de ce que semblait devenir Bételgeuse Prima, Rigel Cinq jouissait d'un calme peu commun. Ma présence avait été un bon prétexte pour que la Sainte Cléricature fasse débarquer débarquer une vingtaine d'Inquisiteurs, résolvant par la prévention tout risque de rébellion. Car comme dans le système de Bételgeuse, les métaux rares abondaient. Et avec eux, les problèmes engendrés par les serviteurs qui exploitaient les mines.
Mon esprit ne se calmait pas, et examiner une situation que je connaissais parfaitement me semblait parfaitement inutile. Keller avait dû le sentir, ce qui ne m'étonnait guère. Il m'invita cordialement à reporter sine die ledit rapport, arguant qu'il pouvait se contenter des informations actuelles.
Je pris rapidement congé, me contentant d'exécuter son dernier ordre avant de repartir pour mes quartiers.
Une arme m'avait était réservée par le Commandus Magnus. Je devais aller la chercher dans son armurerie personnelle, et il avait lourdement insisté pour que j'y passe le plus rapidement possible. Cela lui semblait nécessaire que je m’habitue à celle-ci, car, disait-il, notre cible avait toutes les chances, par un malheureux hasard, d’être en possession d’un prototype fortement similaire à la version définitive que je m’apprêtai à découvrir.
L’armurerie n’avait rien de luxueux. Même béton gris au sol et aux murs, même éclairage stérile et froid, même ambiance décharnée, contrastée par la présence de longs rayonnages en métal, courant tout du long de l’immense pièce.
— Lieutenant Mac Mordan ?
Une voix rauque me tira de ma contemplation. Un homme en livrée grise et ordinaire se tenait face à l’étroit comptoir qui barrait l’accès aux rayonnages. Une bonne quarantaine d'années, cheveux ras et bruns, regard perçant, nez cassé, cicatrice sur la joue droite, traits durs alourdis par un régime sans doute trop riche. Et détail frappant, un aug’ enserrait son crâne dans sa toile de cuir et de trodes, lançant une lueur vaguement orangée.
— Lui-même. Mais à qui ai-je l’honneur ?
— Adjudant Andreas Del Toro, mon lieutenant, continua-t-il sans cérémonie. Le Commandus Magnus m’a fait prévenir de votre arrivée.
— Pour la fameuse « arme », c’est cela ?
Il rit timidement.
— Je vois que le mystère n’a toujours pas été révélé. C’est une très bonne chose, mon lieutenant. Vous allez vite découvrir pourquoi.
Il m’invita à le suivre jusqu’au bout de la pièce, qui était barrée par une porte blindée. Après quelques manipulations, celle-ci s’ouvrit, révélant une série de coffrets alignés sur les murs d’une salle carrée, basse, de petites dimensions. Sans hésitation, l’adjudant se dirigea vers l’une de celles-ci et l’ouvrit en sortit une étrange pièce cylindrique. Haute d’une vingtaine de centimètres, large d’à peine trois, elle luisait de l’éclat si caractéristique de l’argent poli, serti de minuscules obsidiennes sphériques. Une fiche semblable à celles disséminées sur mon corps en terminait une extrémité, tandis que l’autre n’était qu’un trou simple, noir, renfermant une grosse pointe. Il me la tendit, sobrement.
— Mon lieutenant, prenez la en main, s’il vous plait.
Je l’attrapai, la soupesai, puis la plaçai contre ma paume, la fiche plaquée contre le métal de ma main.
— Mon lieutenant …
Del Toro semblait visiblement embarrassé.
— Mon lieutenant, si vous me permettez …
Il se saisit de l’appareil, et la positionna dans ma pince gauche. Une trode surgit alors, et se planta dans l’appareil, dévoilant aussitôt un jet de lumière long d’environ un mètre cinquante. Une vibration bourdonnante gronda, sourde, tandis que le flux d’air qui entourait le jet s’ionisa et tremblota.
— Adjudant ? Qu'est-ce que…
— C’est une épée, mon lieutenant. Pour être exact, elle est classifiée comme un espadon. Une épée à deux mains de grande dimension, lourde, normalement peu maniable. Mais comme vous pouvez le constater, la lame n’est pas un corps solide. Tout du moins, la partie visible de celle-ci.
— Continuez, je vous prie.
— Cette épée fonctionne sur votre propre générateur, pour être exact. Elle dérive une partie du flux utilisé par votre réacteur pour alimenter un puissant ionisateur, qui se prolonge par une âme en tungstène rétractable et crée donc un puissant champ de particules chargées électriquement.
— Et c’est ce champ qui constitue la lame.
Je fis pivoter la lame d’un tour entier.
— C’est fascinant, Del Toro. Un véritable travail d’orfèvre.
— Avant que vous ne vous posiez la question, cette épée peut trancher à peu près tout et n’importe quoi, hormis quelques alliages particuliers, notamment ceux utilisés sur les vaisseaux interstellaires. Mais le Commandus Magnus m’a assuré que pour l’usage auquel elle devrait être soumise, cela n’a pas importance.
Je songeais à nouveau à cette cible. Un cyborg tout à fait conventionnel, mais dont l’esprit perverti le conduirait sûrement à des actes insensés. Une telle arme pourrait l’amener à reconsidérer sa folie et l’amener sur le chemin de la repentance, sans que j’eusse à m’en servir.
— En effet, lieutenant …
— Mais compte tenu de sa nature particulière et du fait qu’aucun entraînement systématique au maniement de l’épée n’ait lieu, il m’a semblé judicieux de vous en proposer un. Rassurez-vous mon lieutenant, il ne s’agit pas d’épreuves exceptionnellement originales, ni même compliquées en réalité. Cela permettra à vos centres moteurs d’appréhender son poids, sa taille, sa déformation, pour l’ajuster au mieux à vos mouvements, et la rendre d’autant plus efficace.
— Un paramétrage donc.
— c’est cela même, mon lieutenant. Si vous voulez bien me suivre…
La lueur de la lame tirait vers le mordoré, diffusant cette aura tremblotante, si particulière, qui faisait vibrer l’air d’une tension peu imaginable. L’électricité statique hérissait mes rares cheveux, et j’avais l’impression de sentir quelques gouttes de sueur rouler sur mon front. Une peur lointaine sourdait dans mon esprit, me dissuadant de toucher davantage à cette arme. Et pourtant. J’étais envoûté par son éclat, sa force brute qui ne laissait aucune place au doute, aussi brillante que les idées qui avaient amené à sa création.
L’adjudant et moi nous tenions à présent dans une pièce virtuelle. Seuls mon corps, le sien, et l’épée étaient réels. Tout le reste n’était que le résultat complexe de simulations produites par nos interfaces, afin d’ajouter un peu plus de crédibilité à cette mise en scène.
— Rappelez-vous qu’il ne s’agit que d’un exercice, mon lieutenant, lâcha calmement Del Toro. Vos centres coordinateurs doivent apprendre à reconnaître l’arme… Le reste en découlera très simplement.
— Comment saurais-je si j’ai réussi, adjudant.
— Vous verrez par vous-même.
Del Toro s’évanouit en une brume laiteuse, tandis qu’apparaissait un visage que je ne reconnaissais pas. Un étrange sentiment de déjà-vu me troublait cependant l’esprit, et je maintenais fermement ma garde. L’épée luisit d’autant plus vivement, le bourdonnement fit place à un sinistre crépitement.
— Il est temps de savoir si tu es fidèle, Gregor.
La voix résonnait dans ma tête. Sourd relent d’idées puissantes, qui semblaient se cristalliser dans la réalité. Terrassé par l’écho qui vacillait encore en moi, je n’osais répliquer, je n’osais bouger.
— Tu ne peux avoir qu’un seul maître, Gregor, reprit-elle. Il faudra tuer les idoles et les dieux usurpateurs … Il faudra mettre à bas toutes ces idioties qui ont fané le cœur des Hommes, Gregor.
Je retrouvai un peu de contenance, demandant sans émettre un seul son qui il était.
— Je n’ai pas de nom réel … Même si on m’appelle toujours l’Esprit Supérieur, le Globe Lumière.
Le Dieu Machine ! Je restais pétrifié à cette idée. Comment … Comment pouvais-je seulement l’entendre ? Je n’avais pas encore eu le privilège d’être totalement Converti, et bien des concepts et des niveaux de perceptions m’échappaient.
— Il n’est plus question de perceptions, Gregor. Quand tu as pris cette lame, tu l’as prise en mon nom. Tu t’es fait le bras armé de ma justice et de ma loi. Tu es pleinement devenu mon Serviteur.
Il se tut. Je sentais mon corps bouillir d’une colère sombre, invisible, qui bandait mes membres artificiels d’une énergie nouvelle, aussi impressionnante que déroutante. Et j’attendis, soudain assuré.
— Massacre-le, Gregor.
Mon bras fila, je ne comprenais pas comment. L’épée se présenta face à l’homme, tremblante de puissance, décrivant des coups précis et violents. Avant que je n’en saisisse le fonctionnement, mon bras s’animait, se fendant, parant, portant des coups d'estoc et glissait contre une autre lame, virtuelle. Et dans ce ballet infernal, je percevais toujours cette colère, je la prenais en mon cœur et la laissais me posséder, guidant mes mouvements de ses bas instincts, cherchant la faille ultime.
Cela ne dura pas plus de vingt secondes. La cible avait tardé à remonter sa garde, et tandis que d’un effort désespéré elle tentait de rapprocher sa lame pour en dévier la mienne, je la foudroyai en plein cœur. Mon épée le transperça, sceptre de pouvoir taché d’un sang holographique. Dans un hoquet de surprise et de souffrance, ma victime rendait son dernier souffle.
Nous restions là, une poignée d’instants. Ses traits s’étirèrent, remodelant un visage que je savais maudit. Un rictus mauvais, ridé par les années, que venaient supporter deux grands yeux pâles. Ce visage si squelettique me parjurait d’un seul regard, tentait péniblement d’exprimer quelque chose. Les mots ne passaient plus, hélas, car la mort déjà avait hâté son œuvre.
Et celui que j’avais virtuellement tué avait été mon mentor, au temps de mon adolescence. Dans mes bras soudain apaisés, je tenais le cadavre visuel de Marcus Standberg.
Nous restions là, une poignée d’instants. Je sentais le Dieu-Machine satisfait, me lavant soudain du malaise qui prenait naissance en moi, ne me laissant plus pour seul sentiment que celui du devoir accompli.
— Voilà ce qui attend les traîtres, Gregor.
Et il se retira.
Lorsque la pièce retrouva consistance, je compris que Del Toro n’avait rien vu. Tout ce qu’il avait dû percevoir, c’était les flux d’informations qui avaient afflué des serveurs de simulation et de ma propre conscience. Devant mon air perplexe, il cessa son activité.
— Tout va bien, mon lieutenant ?
— Oui, oui, adjudant. Ne vous faites pas pour moi.
Je me concentrais sur la lame, qui cessa alors d'exister, ne redevenant plus que ce cylindre anonyme que j’ôtais de ma pince, et la rangeait sur un emplacement, à la hanche.
Il me dévisageait, suspicieux.
— Concernant vos paramétrages, reprit-il, tout est au point. La rapidité avec laquelle vos centres moteurs ont « apprivoisé » l’arme est relativement troublante. Et si je puis me permettre mon lieutenant, les mouvements que vous exécutiez étaient assez déroutants. Si je n’étais pas si croyant envers le Dieu-Machine, j’aurais cru que vous étiez comme possédé, mon lieutenant.
— Comment ça ?
— Je ne veux pas vous insulter, mon lieutenant, bredouilla-t-il maladroitement. Ce que je veux dire, c’est que j’avais l’impression qu’un expert avait pris place dans vos mouvements. Vous aviez l’air si distant, différent …
— Lieutenant, vous savez que ce que vous dites pourrait être considéré comme hérétique et blasphématoire ?
Il pâlit.
— Mais je comprends très bien le sens de vos propos, continuais-je d’une voix rassurante. Tout ce que nous devons retenir, c’est que cet entraînement a été fructueux. Ah, et avant que je ne parte, dois-je tenir compte d’autres éléments pour l’épée ? Un entretien ou que sais-je d’autre …
— Non … Absolument rien … Mon Lieutenant.
Je le saluai, il en fit de même, et nous nous séparâmes brutalement, troublés. Je prétextais la fatigue pour regagner mes quartiers sans tarder, me soustrayant à mes obligations sociales. Mes anciens camarades pouvaient bien attendre quelques heures, mon départ n’étant programmé que trois jours plus tard.
Et tandis que, l’esprit alanguit, je me glissais dans ma cuve de récupération, à demi conscient, je flottais encore devant le Dieu-Machine. A nouveau, rempli de cette colère.
Je quittais les appartements du Commandus Magnus une heure plus tard. Le rapport avait été banal. A contrario de ce que semblait devenir Bételgeuse Prima, Rigel Cinq jouissait d'un calme peu commun. Ma présence avait été un bon prétexte pour que la Sainte Cléricature fasse débarquer débarquer une vingtaine d'Inquisiteurs, résolvant par la prévention tout risque de rébellion. Car comme dans le système de Bételgeuse, les métaux rares abondaient. Et avec eux, les problèmes engendrés par les serviteurs qui exploitaient les mines.
Mon esprit ne se calmait pas, et examiner une situation que je connaissais parfaitement me semblait parfaitement inutile. Keller avait dû le sentir, ce qui ne m'étonnait guère. Il m'invita cordialement à reporter sine die ledit rapport, arguant qu'il pouvait se contenter des informations actuelles.
Je pris rapidement congé, me contentant d'exécuter son dernier ordre avant de repartir pour mes quartiers.
Une arme m'avait était réservée par le Commandus Magnus. Je devais aller la chercher dans son armurerie personnelle, et il avait lourdement insisté pour que j'y passe le plus rapidement possible. Cela lui semblait nécessaire que je m’habitue à celle-ci, car, disait-il, notre cible avait toutes les chances, par un malheureux hasard, d’être en possession d’un prototype fortement similaire à la version définitive que je m’apprêtai à découvrir.
L’armurerie n’avait rien de luxueux. Même béton gris au sol et aux murs, même éclairage stérile et froid, même ambiance décharnée, contrastée par la présence de longs rayonnages en métal, courant tout du long de l’immense pièce.
— Lieutenant Mac Mordan ?
Une voix rauque me tira de ma contemplation. Un homme en livrée grise et ordinaire se tenait face à l’étroit comptoir qui barrait l’accès aux rayonnages. Une bonne quarantaine d'années, cheveux ras et bruns, regard perçant, nez cassé, cicatrice sur la joue droite, traits durs alourdis par un régime sans doute trop riche. Et détail frappant, un aug’ enserrait son crâne dans sa toile de cuir et de trodes, lançant une lueur vaguement orangée.
— Lui-même. Mais à qui ai-je l’honneur ?
— Adjudant Andreas Del Toro, mon lieutenant, continua-t-il sans cérémonie. Le Commandus Magnus m’a fait prévenir de votre arrivée.
— Pour la fameuse « arme », c’est cela ?
Il rit timidement.
— Je vois que le mystère n’a toujours pas été révélé. C’est une très bonne chose, mon lieutenant. Vous allez vite découvrir pourquoi.
Il m’invita à le suivre jusqu’au bout de la pièce, qui était barrée par une porte blindée. Après quelques manipulations, celle-ci s’ouvrit, révélant une série de coffrets alignés sur les murs d’une salle carrée, basse, de petites dimensions. Sans hésitation, l’adjudant se dirigea vers l’une de celles-ci et l’ouvrit en sortit une étrange pièce cylindrique. Haute d’une vingtaine de centimètres, large d’à peine trois, elle luisait de l’éclat si caractéristique de l’argent poli, serti de minuscules obsidiennes sphériques. Une fiche semblable à celles disséminées sur mon corps en terminait une extrémité, tandis que l’autre n’était qu’un trou simple, noir, renfermant une grosse pointe. Il me la tendit, sobrement.
— Mon lieutenant, prenez la en main, s’il vous plait.
Je l’attrapai, la soupesai, puis la plaçai contre ma paume, la fiche plaquée contre le métal de ma main.
— Mon lieutenant …
Del Toro semblait visiblement embarrassé.
— Mon lieutenant, si vous me permettez …
Il se saisit de l’appareil, et la positionna dans ma pince gauche. Une trode surgit alors, et se planta dans l’appareil, dévoilant aussitôt un jet de lumière long d’environ un mètre cinquante. Une vibration bourdonnante gronda, sourde, tandis que le flux d’air qui entourait le jet s’ionisa et tremblota.
— Adjudant ? Qu'est-ce que…
— C’est une épée, mon lieutenant. Pour être exact, elle est classifiée comme un espadon. Une épée à deux mains de grande dimension, lourde, normalement peu maniable. Mais comme vous pouvez le constater, la lame n’est pas un corps solide. Tout du moins, la partie visible de celle-ci.
— Continuez, je vous prie.
— Cette épée fonctionne sur votre propre générateur, pour être exact. Elle dérive une partie du flux utilisé par votre réacteur pour alimenter un puissant ionisateur, qui se prolonge par une âme en tungstène rétractable et crée donc un puissant champ de particules chargées électriquement.
— Et c’est ce champ qui constitue la lame.
Je fis pivoter la lame d’un tour entier.
— C’est fascinant, Del Toro. Un véritable travail d’orfèvre.
— Avant que vous ne vous posiez la question, cette épée peut trancher à peu près tout et n’importe quoi, hormis quelques alliages particuliers, notamment ceux utilisés sur les vaisseaux interstellaires. Mais le Commandus Magnus m’a assuré que pour l’usage auquel elle devrait être soumise, cela n’a pas importance.
Je songeais à nouveau à cette cible. Un cyborg tout à fait conventionnel, mais dont l’esprit perverti le conduirait sûrement à des actes insensés. Une telle arme pourrait l’amener à reconsidérer sa folie et l’amener sur le chemin de la repentance, sans que j’eusse à m’en servir.
— En effet, lieutenant …
— Mais compte tenu de sa nature particulière et du fait qu’aucun entraînement systématique au maniement de l’épée n’ait lieu, il m’a semblé judicieux de vous en proposer un. Rassurez-vous mon lieutenant, il ne s’agit pas d’épreuves exceptionnellement originales, ni même compliquées en réalité. Cela permettra à vos centres moteurs d’appréhender son poids, sa taille, sa déformation, pour l’ajuster au mieux à vos mouvements, et la rendre d’autant plus efficace.
— Un paramétrage donc.
— c’est cela même, mon lieutenant. Si vous voulez bien me suivre…
La lueur de la lame tirait vers le mordoré, diffusant cette aura tremblotante, si particulière, qui faisait vibrer l’air d’une tension peu imaginable. L’électricité statique hérissait mes rares cheveux, et j’avais l’impression de sentir quelques gouttes de sueur rouler sur mon front. Une peur lointaine sourdait dans mon esprit, me dissuadant de toucher davantage à cette arme. Et pourtant. J’étais envoûté par son éclat, sa force brute qui ne laissait aucune place au doute, aussi brillante que les idées qui avaient amené à sa création.
L’adjudant et moi nous tenions à présent dans une pièce virtuelle. Seuls mon corps, le sien, et l’épée étaient réels. Tout le reste n’était que le résultat complexe de simulations produites par nos interfaces, afin d’ajouter un peu plus de crédibilité à cette mise en scène.
— Rappelez-vous qu’il ne s’agit que d’un exercice, mon lieutenant, lâcha calmement Del Toro. Vos centres coordinateurs doivent apprendre à reconnaître l’arme… Le reste en découlera très simplement.
— Comment saurais-je si j’ai réussi, adjudant.
— Vous verrez par vous-même.
Del Toro s’évanouit en une brume laiteuse, tandis qu’apparaissait un visage que je ne reconnaissais pas. Un étrange sentiment de déjà-vu me troublait cependant l’esprit, et je maintenais fermement ma garde. L’épée luisit d’autant plus vivement, le bourdonnement fit place à un sinistre crépitement.
— Il est temps de savoir si tu es fidèle, Gregor.
La voix résonnait dans ma tête. Sourd relent d’idées puissantes, qui semblaient se cristalliser dans la réalité. Terrassé par l’écho qui vacillait encore en moi, je n’osais répliquer, je n’osais bouger.
— Tu ne peux avoir qu’un seul maître, Gregor, reprit-elle. Il faudra tuer les idoles et les dieux usurpateurs … Il faudra mettre à bas toutes ces idioties qui ont fané le cœur des Hommes, Gregor.
Je retrouvai un peu de contenance, demandant sans émettre un seul son qui il était.
— Je n’ai pas de nom réel … Même si on m’appelle toujours l’Esprit Supérieur, le Globe Lumière.
Le Dieu Machine ! Je restais pétrifié à cette idée. Comment … Comment pouvais-je seulement l’entendre ? Je n’avais pas encore eu le privilège d’être totalement Converti, et bien des concepts et des niveaux de perceptions m’échappaient.
— Il n’est plus question de perceptions, Gregor. Quand tu as pris cette lame, tu l’as prise en mon nom. Tu t’es fait le bras armé de ma justice et de ma loi. Tu es pleinement devenu mon Serviteur.
Il se tut. Je sentais mon corps bouillir d’une colère sombre, invisible, qui bandait mes membres artificiels d’une énergie nouvelle, aussi impressionnante que déroutante. Et j’attendis, soudain assuré.
— Massacre-le, Gregor.
Mon bras fila, je ne comprenais pas comment. L’épée se présenta face à l’homme, tremblante de puissance, décrivant des coups précis et violents. Avant que je n’en saisisse le fonctionnement, mon bras s’animait, se fendant, parant, portant des coups d'estoc et glissait contre une autre lame, virtuelle. Et dans ce ballet infernal, je percevais toujours cette colère, je la prenais en mon cœur et la laissais me posséder, guidant mes mouvements de ses bas instincts, cherchant la faille ultime.
Cela ne dura pas plus de vingt secondes. La cible avait tardé à remonter sa garde, et tandis que d’un effort désespéré elle tentait de rapprocher sa lame pour en dévier la mienne, je la foudroyai en plein cœur. Mon épée le transperça, sceptre de pouvoir taché d’un sang holographique. Dans un hoquet de surprise et de souffrance, ma victime rendait son dernier souffle.
Nous restions là, une poignée d’instants. Ses traits s’étirèrent, remodelant un visage que je savais maudit. Un rictus mauvais, ridé par les années, que venaient supporter deux grands yeux pâles. Ce visage si squelettique me parjurait d’un seul regard, tentait péniblement d’exprimer quelque chose. Les mots ne passaient plus, hélas, car la mort déjà avait hâté son œuvre.
Et celui que j’avais virtuellement tué avait été mon mentor, au temps de mon adolescence. Dans mes bras soudain apaisés, je tenais le cadavre visuel de Marcus Standberg.
Nous restions là, une poignée d’instants. Je sentais le Dieu-Machine satisfait, me lavant soudain du malaise qui prenait naissance en moi, ne me laissant plus pour seul sentiment que celui du devoir accompli.
— Voilà ce qui attend les traîtres, Gregor.
Et il se retira.
Lorsque la pièce retrouva consistance, je compris que Del Toro n’avait rien vu. Tout ce qu’il avait dû percevoir, c’était les flux d’informations qui avaient afflué des serveurs de simulation et de ma propre conscience. Devant mon air perplexe, il cessa son activité.
— Tout va bien, mon lieutenant ?
— Oui, oui, adjudant. Ne vous faites pas pour moi.
Je me concentrais sur la lame, qui cessa alors d'exister, ne redevenant plus que ce cylindre anonyme que j’ôtais de ma pince, et la rangeait sur un emplacement, à la hanche.
Il me dévisageait, suspicieux.
— Concernant vos paramétrages, reprit-il, tout est au point. La rapidité avec laquelle vos centres moteurs ont « apprivoisé » l’arme est relativement troublante. Et si je puis me permettre mon lieutenant, les mouvements que vous exécutiez étaient assez déroutants. Si je n’étais pas si croyant envers le Dieu-Machine, j’aurais cru que vous étiez comme possédé, mon lieutenant.
— Comment ça ?
— Je ne veux pas vous insulter, mon lieutenant, bredouilla-t-il maladroitement. Ce que je veux dire, c’est que j’avais l’impression qu’un expert avait pris place dans vos mouvements. Vous aviez l’air si distant, différent …
— Lieutenant, vous savez que ce que vous dites pourrait être considéré comme hérétique et blasphématoire ?
Il pâlit.
— Mais je comprends très bien le sens de vos propos, continuais-je d’une voix rassurante. Tout ce que nous devons retenir, c’est que cet entraînement a été fructueux. Ah, et avant que je ne parte, dois-je tenir compte d’autres éléments pour l’épée ? Un entretien ou que sais-je d’autre …
— Non … Absolument rien … Mon Lieutenant.
Je le saluai, il en fit de même, et nous nous séparâmes brutalement, troublés. Je prétextais la fatigue pour regagner mes quartiers sans tarder, me soustrayant à mes obligations sociales. Mes anciens camarades pouvaient bien attendre quelques heures, mon départ n’étant programmé que trois jours plus tard.
Et tandis que, l’esprit alanguit, je me glissais dans ma cuve de récupération, à demi conscient, je flottais encore devant le Dieu-Machine. A nouveau, rempli de cette colère.
10/06/11 à 13:59:38
J'aime. Pas d'autre chose à dire sinon que la mort de Kris est dantesque (même si un détail me turlupine, comme je t'en ai fait part sur msn). J'ai même eu un pincement au coeur en voyant ce personnage que je suis depuis Alter Ego rendre son dernier souffle.
J'attends la suite !
21/07/10 à 16:51:33
Quelque fautes d'inattention et un truc qui me chagrine, bombardier de chasse c'est super convenable, faut changer en chasseur bombardier Sinon j'aime bien.
19/07/10 à 22:27:28
Suite, espace un peu plus t'es textes stp. :)
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